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lundi 18 octobre 2021

Liturgie des heures

 A ne pas manquer si le spectacle passe près de chez vous : Ma Forêt fantôme, par la compagnie de l'Arcade. Texte Denis Lachaud, mise en scène Vincent Dussard.

Deux trajectoires de vie se croisent ici, deux combats, deux descentes, deux dégénérescences, l'une liée à la maladie d'Alzheimer, l'autre au VIH. Ces trajectoires sont prises en charge par les aimants, les aidants, dont on suit aussi, sur vingt ans, les trajectoires...

Sur le plateau, un carré, qui tient autant du ring que du salon - ou du carré de jardin : un périmètre-laboratoire où toutes ces trajectoires s'inscrivent magnifiquement - comme elles s'inscrivent graphiquement, en contre-jour, sur le cyclo tendu en fond de scène. Topographie des destinées.

Au centre, une chaise surplombée d'un lustre monumental, épée de Damoclès comme ces maux qui vous tombent dessus sans crier gare. (Lumières, scénographie et costumes : Anthony Pastor et Rose-Marie Servenay)

Précision des déplacements chorégraphiés qui s'inscrivent dans l'espace scénique, précision des intentions entre jeu incarné et narration au public : à ce titre, les acteurs sont autant des personnages pris dans le tourbillon des maladies que des témoins, dans la droite ligne des spectacles vitéziens. Très belle distribution (Xavier Czapla, Sylvie Debrun, Guillaume Clausse, Patrick Larzille, Patrice Gallet) orchestrée par Vincent Dussard : il s'agit bien ici d'une liturgie pour célébrer les combattants et les fantômes.

La musique jouée en direct fait ressurgir, comme autant de madeleines de Proust, des airs des années 80 (Visage, Dépêche Mode, Bronski Beat...) et porte le spectacle résolument vers la vie, à l'image des fleurs qui parsèment le décor, à l'image aussi de la dernière image, saisissante, avant le noir final.

> Laurent Contamin

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mardi 28 octobre 2014

"Et pourtant, ce silence...


… ne pouvait être vide », écrivait en 1978 le regretté Jean Magnan. Emportés par les questions que la création soulève en nous (« que dire ? », « pourquoi dire ? », « comment dire ? » « à qui dire ? »…), nous en viendrions presque à oublier le souci du silence ; le soin nécessaire à porter au silence, au cœur de notre pratique d’écriture. Le silence est loin d’être vide. Il parle, il peut même être assourdissant. John Cage a créé une pièce de quelques minutes composée uniquement de silence, pour nous apprendre à écouter. Franz Schubert, en des temps plus anciens, prétendait que les silences, dans sa musique, étaient ce qu’il y avait de plus important. Ils sont fous, ces musiciens : les silences, plus essentiels que les notes ?

 Les mots, les phrases, nous en sommes abreuvés du matin au soir. Slogans publicitaires qui nous assaillent au saut du lit, discours politiques que nous tentons vaillamment d’écouter, en bons citoyens que nous sommes, dialecte médiatique tautologique, téléphone portable dans une oreille et MP3 dans l’autre, sabir fashion et textos-non-stop, infos en temps réel, chroniques de la pensée unique, magazines, blabla des tables rondes et autres talkshows, bavardages, colloques et dîners en ville, de langue de bois en parole frelatée…  N’en jetez plus ! Et il faudrait encore rajouter de la parole théâtrale à toutes ces paroles ? Mais pour quoi faire ? Est-ce que l’imposture du langage ne fait pas assez de ravage comme ça ? Taisons-nous ! Pourquoi diable voudrions-nous encore ajouter du bruit au bruit ?

Peut-être, justement, parce qu’à l’inverse de toutes les paroles précitées, la langue théâtrale serait porteuse de silence. Le silence serait son compagnon secret, sa partie immergée de l’iceberg, son alter ego. Les temps, les suspens – les soupirs, pour reprendre un terme musical – fonctionneraient comme les charnières permettant aux portes du langage de s’ouvrir et au spectateur (ou au lecteur) de répondre à l’invite de l’auteur ; de se mettre en marche et d’entrer jusqu’au seuil du poème dramatique, lieu de la rencontre.

C’est évident chez des auteurs comme Beckett, Sarraute, Pinter, Kermann,... Mais chez d’autres aussi, et à vrai dire la liste serait longue. Quelques beaux silences entraperçus sur les scènes de théâtre : Rémi de Vos (Jusqu’à ce que la Mort nous sépare), Charles-Eric Petit (Le Diable en Bouche), Zinnie Harris (Plus Loin que Loin)…

À y bien regarder (ou plutôt à y bien écouter), c’est sans doute vrai (même si c’est présent de manière différente pour chaque auteur), cette histoire de densité du silence, dans tout texte qui a quelque chose à dire. On pourrait presque avancer que l’imposture du discours est inversement proportionnelle à la qualité du silence que celui-ci transporte avec lui. Artaud disait : « Le mot n’est fait que pour arrêter la pensée ; il la cerne, mais la termine ; il n’est en somme qu’un aboutissement (…). Le théâtre a perdu sa véritable raison d’être… On en est venu à souhaiter un silence, où nous pourrions écouter la vie » (Lettres sur le Langage).

Évidemment, le silence met en danger la parole (au risque même de l’anéantir), à force de lui tendre son miroir sans pitié. Mais c’est tant mieux ! Car la parole – et singulièrement la parole dramatique – n’est forte que d’être ainsi sans cesse mise au pied du mur. La parole n’est légitime que d’être ramenée dans son questionnement primitif, dans sa matrice de gestation, dans son état d’avant le langage, d’être toujours et encore jugée par le silence qui l’accompagne, questionnée, passée au filtre du silence, afin de pouvoir naître et renaître, miraculeusement neuve et donc nécessaire, sur le plateau du théâtre.
Un texte écrit en 2008 pour les Ecrivains Associés du Théâtre

dimanche 18 novembre 2012

Trois f(r)ictions

Trois long-métrages sortis en 2011 et 2012 sont, sous des apparences de "petits films" (lire : films à petits budgets), des fictions sans nul doute importantes, en cela qu'elles sont à la fois témoins de leur époque, qu'elles portent un regard affûté sur le monde et la modernité, et qu'elles le font avec gravité et légèreté, rigueur et liberté. Ces films qui marchent avec autant de bonheur sur la ligne de crête de l'oxymore méritent d'être vus, s'ils passent encore en salle ou sur le petit écran, ou revus, pour peu qu'on puisse les trouver en DVD. Il s'agit de : Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine ; La Vierge, les Coptes et Moi de Namir Abdel Messeeh ; et In another Country de Hong Sang-Soo.

Quelques points communs à ces films :
- une quête : le film est bâti autour de la recherche, par leur héros ou leur héroïne, d'un objet aussi primordial que dérisoire (un phare pour le personnage d'Isabelle Huppert dans In another Country, des témoins ayant vus une apparition de la Vierge pour le film de de Namir Abdel Messeeh et... des relevés de points retraite pour Serge, le personnage incarné par Gérard Depardieu dans Mammuth) ;
- des obstacles : ces quêtes respectives se heurtent à un certain nombre de difficultés, qui font le piment du film en nous donnant à visiter une galerie de personnages hauts en couleurs : les témoignages, en Egypte, ne concordent pas tous quant aux apparitions, les anciens employeurs de Serge sont morts ou de mauvaise volonté pour retrouver les fiches de paye, le personnage d'Isabelle Huppert se laisse dévier de sa quête par un maître nageur qui semble préférer lui faire visiter sa tente plutôt que le phare ;
- une distance : il y a toujours un lieu lointain qui intervient en adjuvant ou en opposant à la quête du personnage principal : dans le cas des films de Hong Sang-Soo et Namir Abdel Messeeh, il s'agit du réalisateur qui retarde son arrivée de Séoul pour le premier, du producteur parisien qui veut éviter les dépassements de budget pour le second. Les discussions téléphoniques sont autant de bâtons dans les roues, d'obstacles supplémentaires à la quête des héros. Dans Mammuth, la discussion téléphonique entre Serge et Cathy est assez minimaliste, et tendra carrément vers le zéro absolu quand Serge se fera dépouiller de son portable.
- une étrangeté : le personnage est à la fois familier et étranger au monde dans lequel prend corps sa quête : si Isabelle Huppert est vraiment l'Etrangère (le titre du film sud-coréen semble mettre la priorité sur l'altérité des cultures ; les incompréhensions linguistiques sont l'un des ressorts dramatico-comiques du film),  le cinéaste incarné dans son propre film par Namir Abdel Messeeh est à la fois d'ici et d'ailleurs. Quant à Mammuth, il tendrait à montrer que ce ne sont pas les protagonistes qui ont changé... mais le monde qui leur est devenu étrange (ou étranger).
- un décloisonnement : les clivages traditionnels du genre "long-métrage" s'estompent : entre documentaire et fiction, entre acteurs professionnels et acteurs amateurs, entre tresse narrative et "film à sketches", les réalisateurs ont eu à coeur de redistribuer les cartes, apportant une fraîcheur et une fantaisie bienvenues.

On pourrait s'amuser à trouver d'autres points communs : références au cinéma, présence du vedettariat, cinéma dans le cinéma, rôle de la famille, de la religion, cadrage et apparition... Il apparaît que ces multiples lignes de force permettent à ces trois fictions qui, toutes, se situent dans des pays où la Grande Histoire bat du tambour ("printemps arabe" pour  La Vierge, les Coptes et Moi, partition des deux Corée et menace nord-coréenne pour In another Country, crise économique européenne pour Mammuth), d'apporter un autre regard, une musique neuve, qui mine de rien, par la marge, en disent aussi long (voire plus) que n'importe quel reportage sur le sujet, avec les armes oh combien subversives de la fantaisie, de l'humour, de l'absurde : autant de frictions dans une production cinématographique internationale de plus en plus formatée, lisse et convenue. On n'oubliera pas de sitôt ni la silhouette hallucinée de Gérard Depardieu en Belle des Champs pétaradante, ni Isabelle Huppert bêlant sur une digue du bout du monde pour tenter de communiquer avec un couple de chèvres, ni le regard désemparé de Namir Abdel Messeeh, en Emmanuel Mouret au pays de Chahine.

vendredi 9 décembre 2011

On n'en revient pas...

Entendu parfois, au sortir d'un spectacle, cette phrase censément critique : "Je (ne) suis pas rentré dedans...". Cette expression, très franchement, je ne la comprends pas.
Bien sûr, le spectateur est libre de pensée et d'expression, bien sûr je reconnais la subjectivité inhérente à la réception  d'un spectacle (des goûts et des couleurs...). Néanmoins, il ne me semble pas forcément inutile de relever l'inanité de cette expression : "Je (ne) suis pas rentré dedans..." concernant le spectacle vivant - expression qu'il serait bon qu'on n'entende plus dans les halls des théâtres à notre époque.
Sur la forme, d'abord : on ne dit pas "rentrer", on dit "entrer". Rentrer signifie en effet "entrer de nouveau". On devrait donc dire : "Je ne suis pas entré dedans". Si l'on veut pinailler, on pourra aussi remarquer la redondance du verbe et de l'adverbe : entrer dedans, c'est un peu comme "sortir dehors", "monter en haut" ou "descendre en bas". On préférera donc : "Je n'y suis pas entré".
Simple question de forme ? Certes. Mais cette phrase s'entend si souvent dans la bouche de gens de culture... Deux fautes de langage sur une phrase de (cinq) six mots, quand on se pique d'être un spectateur cultivé, éclairé, quand même, ça fait mal.
Plus ennuyeux : le fond. Car enfin : depuis quand "entre-t-on" dans une pièce de théâtre ? Qu'est-ce que ça veut dire : qu'on veut entrer sur scène ? On peut entrer dans la danse, oui (dans une boîte de nuit) ; on peut entrer dans l'eau, oui (dans une piscine ou l'océan) ; on peut entrer dans une maison, une fois passé le seuil ; dans un pays, passée la frontière... Mais "entrer dans un spectacle"... De quoi parle-t-on exactement : d'identification, de projection émotionnelle, à grandes louches de naturalisme, comme au temps d'Antoine ? Notre spectateur éclairé aurait-il cent vingt, cent cinquante ans de retard ? Par pitié, laissons le psychologisme aux sitcom, aux émissions de société et autres questions pour champions, soyons sérieux deux minutes, et envisageons le théâtre de notre siècle. Evitons le rétro-pédalage et résistons à la récession des mentalités qui est dans l'air du temps : il ne devrait plus jamais être question aujourd'hui au théâtre "d'entrer dedans". Ca ne devrait jamais être ça, le théâtre, aujourd'hui. Ce qu'il faudrait, quand on est au spectacle, c'est être en face, en confrontation, en dialogue avec la forme scénique. Est-ce que des artistes comme Blin, Vitez, Kantor, Mnouchkine, Brook ou, plus récemment, Gabily, les TgStan et consorts n'ont pas changé de manière indélébile notre manière d'être au théâtre ?
Désolé, ami spectateur, mais ils sont bel et bien finis, tes rêves d'intrusion, avec ce qu'ils recèlent de fantasmes de fusion, de désirs de pénétration scénique, de raptus exhibé - ça que tu exprimes maladroitement avec ton "Je (ne) suis pas rentré dedans...". C'est comme ça et il faudra t'y faire : aujourd'hui, on reste dehors. En face à face. Défense d'entrer. A la limite, l'extase (ek-stase, étymologiquement : se tenir hors), oui, si tu veux. Au mieux, la déroute... "Ce spectacle m'a dérouté" : ça, c'est bien. Etre perdu, ça s'est bien. Et aussi : "Je n'en reviens pas", c'est bien. Oui : plutôt que "rentrer dedans", voilà ce que devrait vivre un spectateur du vingt-et-unième siècle : ne pas en revenir, du spectacle auquel il vient d'assister.
En fait, on ne devrait jamais "en revenir", du théâtre. Et sans doute qu'un spectateur qui se plaint de "(ne) pas être rentré dedans", c'est juste un spectateur revenu de tout. Bonjour Tristesse...

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