Trois long-métrages sortis en 2011 et 2012 sont, sous des apparences de "petits films" (lire : films à petits budgets), des fictions sans nul doute importantes, en cela qu'elles sont à la fois témoins de leur époque, qu'elles portent un regard affûté sur le monde et la modernité, et qu'elles le font avec gravité et légèreté, rigueur et liberté. Ces films qui marchent avec autant de bonheur sur la ligne de crête de l'oxymore méritent d'être vus, s'ils passent encore en salle ou sur le petit écran, ou revus, pour peu qu'on puisse les trouver en DVD. Il s'agit de : Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine ; La Vierge, les Coptes et Moi de Namir Abdel Messeeh ; et In another Country de Hong Sang-Soo.
Quelques points communs à ces films :
- une quête : le film est bâti autour de la recherche, par leur héros ou leur héroïne, d'un objet aussi primordial que dérisoire (un phare pour le personnage d'Isabelle Huppert dans In another Country, des témoins ayant vus une apparition de la Vierge pour le film de de Namir Abdel Messeeh et... des relevés de points retraite pour Serge, le personnage incarné par Gérard Depardieu dans Mammuth) ;
- des obstacles : ces quêtes respectives se heurtent à un certain nombre de difficultés, qui font le piment du film en nous donnant à visiter une galerie de personnages hauts en couleurs : les témoignages, en Egypte, ne concordent pas tous quant aux apparitions, les anciens employeurs de Serge sont morts ou de mauvaise volonté pour retrouver les fiches de paye, le personnage d'Isabelle Huppert se laisse dévier de sa quête par un maître nageur qui semble préférer lui faire visiter sa tente plutôt que le phare ;
- une distance : il y a toujours un lieu lointain qui intervient en adjuvant ou en opposant à la quête du personnage principal : dans le cas des films de Hong Sang-Soo et Namir Abdel Messeeh, il s'agit du réalisateur qui retarde son arrivée de Séoul pour le premier, du producteur parisien qui veut éviter les dépassements de budget pour le second. Les discussions téléphoniques sont autant de bâtons dans les roues, d'obstacles supplémentaires à la quête des héros. Dans Mammuth, la discussion téléphonique entre Serge et Cathy est assez minimaliste, et tendra carrément vers le zéro absolu quand Serge se fera dépouiller de son portable.
- une étrangeté : le personnage est à la fois familier et étranger au monde dans lequel prend corps sa quête : si Isabelle Huppert est vraiment l'Etrangère (le titre du film sud-coréen semble mettre la priorité sur l'altérité des cultures ; les incompréhensions linguistiques sont l'un des ressorts dramatico-comiques du film), le cinéaste incarné dans son propre film par Namir Abdel Messeeh est à la fois d'ici et d'ailleurs. Quant à Mammuth, il tendrait à montrer que ce ne sont pas les protagonistes qui ont changé... mais le monde qui leur est devenu étrange (ou étranger).
- un décloisonnement : les clivages traditionnels du genre "long-métrage" s'estompent : entre documentaire et fiction, entre acteurs professionnels et acteurs amateurs, entre tresse narrative et "film à sketches", les réalisateurs ont eu à coeur de redistribuer les cartes, apportant une fraîcheur et une fantaisie bienvenues.
On pourrait s'amuser à trouver d'autres points communs : références au cinéma, présence du vedettariat, cinéma dans le cinéma, rôle de la famille, de la religion, cadrage et apparition... Il apparaît que ces multiples lignes de force permettent à ces trois fictions qui, toutes, se situent dans des pays où la Grande Histoire bat du tambour ("printemps arabe" pour La Vierge, les Coptes et Moi, partition des deux Corée et menace nord-coréenne pour In another Country, crise économique européenne pour Mammuth), d'apporter un autre regard, une musique neuve, qui mine de rien, par la marge, en disent aussi long (voire plus) que n'importe quel reportage sur le sujet, avec les armes oh combien subversives de la fantaisie, de l'humour, de l'absurde : autant de frictions dans une production cinématographique internationale de plus en plus formatée, lisse et convenue. On n'oubliera pas de sitôt ni la silhouette hallucinée de Gérard Depardieu en Belle des Champs pétaradante, ni Isabelle Huppert bêlant sur une digue du bout du monde pour tenter de communiquer avec un couple de chèvres, ni le regard désemparé de Namir Abdel Messeeh, en Emmanuel Mouret au pays de Chahine.
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