jeudi 21 juillet 2016

Pour Yves Bonnefoy


Yves Bonnefoy s'est éloigné (on ne peut se résoudre à écrire qu'il s'est "éteint") le 1er juillet dernier.

Anne-Sophie Tschiegg
Il avait été d'une grande bienveillance avec moi lors de nos échanges, en 2004, lorsque je montais Roméo et Juliette au TJP Strasbourg, et que je lui avais demandé l'autorisation d'utiliser, pour le texte français du spectacle, sa traduction. Je lui avais - très maladroitement sûrement - exposé les raisons de mon choix, et en premier lieu sa fidélité à Shakespeare dans ses ouvertures polysémiques, ses oxymores, sa musicalité, son mélange de simplicité et de complexité.

Le fait également que sa traduction me parle d'emblée d’adolescence, en ce qu'elle est pure et trouble à la fois, réunissant la maîtrise de l’adulte et la fraîcheur de l’enfance. A ce titre, son utilisation de "l'alexandrin bancal" (6+5) pour introduire, au coeur du pentamètre ïambique d'origine, le double événement dramatique (les morts de Mercutio et de Tybalt) qui fait basculer la pièce, à son hémistiche, de la comédie vers la tragédie, est absolument géniale.

L'organicité de la langue aussi : Bonnefoy (à l'instar de Shakespeare) prend en compte le corps de l'acteur, dans sa respiration notamment, nous entraînant dans un entre-deux qui récapitule le verbe et la chair : la musique pure, intemporelle de la poésie d’une part, et le corps d’autre part (avec ses pulsions, ses exhortations, ses exigences) - récapitulation qui me semble être au cœur des enjeux de Roméo et Juliette (vérité des noms ou vérité des corps ?) - et évidemment, au coeur de l'acte théâtral.

Enfin, je cherchais une traduction qui ne fût pas tant axée autour des problèmes de rivalité familiale Montaigu-Capulet (qui n'était pas pour moi le plexus de la pièce), mais qui comprît le « méchant grain de plomb dans le cœur », pour reprendre la formule de Claudel, présent chez Roméo le nocturne. La traduction, mais peut-être plus encore la préface d'Yves Bonnefoy dans l’édition de Gallimard, rejoignait en plein mes préoccupations dramaturgiques et les pistes que je souhaitais suivre, particulièrement quant au « mystère Roméo » : oui, si la pièce certes est épique, elle est peut-être plus encore métaphysique en ce qu’elle nous confronte à l’opacité du cœur humain. Et c’est Bonnefoy, je crois, de tous les traducteurs qui se sont penché sur cette pièce complexe, qui a le mieux compris cela.


A réception de mon courrier malhabile, Yves Bonnefoy m'avait renvoyé, depuis le Collège de France, une lettre d'une extrême gentillesse, accompagnée de sa dernière parution, Le Nom du Roi d'Asiné chez Virgile.

Il faut relire les traductions de Bonnefoy, non seulement de Shakespeare, mais aussi de Yeats. C'est sublime.

mercredi 13 juillet 2016

1er juin des écritures théâtrales jeunesse

Depuis 2015, à l'initiative de l'association Scènes d'Enfance et d'Ailleurs, le 1er juin de chaque année est un temps fort pour faire la part belle aux textes de théâtre destinés plus spécifiquement à la jeunesse.

En 2016, les acteurs, compagnies de théâtre, libraires, bibliothèques... qui organisaient quelque chose - ce fut le cas par exemple à Liragif autour de la sortie de Tête de Linotte à l'Ecole des Loisirs - étaient invités à introduire ce moment par le texte suivant, écrit à quatre mains (ou plutôt huit !) avec mes camarades auteurs de théâtre (entre autres) pour l'enfance et la jeunesse Dominique Paquet, Catherine Verlaguet et Luc Tartar :

Chères lectrices, chers lecteurs,

Nous écrivons.
Vous lisez.
Nous sommes faits pour nous entendre.
Vous avez beaucoup à dire, nous aussi.
Partout en France, dans les théâtres, les bibliothèques, à l’école, chez le voisin, les grands, les petits, à la ville comme à la campagne, au bord de la mer, à nous tous la parole !

Toi qui habites ici, toi qui habites ailleurs,
Toi qui écris parfois, dans un cahier, sur des petits bouts de papier,
Toi qui dessines tes pensées,
Toi qui préfères jouer à la console ou courir dans les bois plutôt que lire des livres,
Toi de passage,
Toi l’oiseau migrateur,
Toi qui nourris les mésanges bleues,
Toi qui ne veux ni frère, ni sœur,
Toi qui parles cinq langues et demie,
Toi qui  chuchotes à l’oreille des chevaux en Mongolie,
Toi qui t’ennuies à longueur de journée,
Toi qui crois qu’on peut mieux comprendre la vie en allant au théâtre,
Toi qui sais que le chemin que tu prendras sera plus grand que celui qu’on te propose,
Toi le gourmand des mots, qui peux plonger dans un livre comme on plonge dans la mer,
Toi qui te piques les doigts à pêcher les oursins à Collioure,
Toi qui décroches la lune,
Toi qui scrutes le ciel pour apercevoir, une nuit, la neuvième planète du système solaire,
Toi qui sauves les grenouilles sur la D987, entre Craponne-sur-Arzon et Usson-en-Forez,
Toi qui shootes dans les pigeons du square de la mairie,
Toi qui rates toutes tes potions magiques,
Toi qui braves les frontières,
Toi qui sais compter jusqu’à 17 sans les doigts,
Toi qui te fais voler ton argent de poche par ton presque-frère,
Toi qui rêves de marcher sur Mars,
Toi qui as déjà un amoureux, une amoureuse,
Toi qui hésites entre « il » et « elle »,
Toi qui veux devenir footballeur, le plus grand, le meilleur,
Toi qui tapes le ballon, le carton, l’incruste, l’affiche,
Toi qui veux te transformer en patate de canapé,
Toi le casse-cou, l’explorateur,
Toi qui décides que la vie, c’est fait pour faire la fête,
Toi qui es venu avec ton jumeau imaginaire,
Toi qui ne sais pas si tu préfères les rêves ou les cauchemars,
Toi qui viens de perdre une dent et qui attends le passage de la petite souris,
Toi qui as peur des piqûres mais seras chirurgienne quand tu seras grande,
Toi qui te goinfres de bonbons bleus pour avoir une langue de schtroumpf,
Toi qui fais des fautes d’orthographe, qui salis tes cahiers, qui tippexes des eastpack,
Toi le petit Poucet,
Toi la Belle à tous les bois dormant,
Toi qui te dis l’enfant du vent, des animaux ou du soleil,
Toi qui collectionnes les secrets comme on collectionne les papillons,
Toi que ton meilleur ami a trahi avant-hier,
Toi qui tires la langue dès qu’on te prend en photo,
Toi qui ne tiens pas en place, toi le premier de la classe,
Toi qui cours, nages, peins, chantes, construis, rêves, siffles, ulules, rugis, soupires, exprimes, doutes, t’émerveilles, t’ensauvages à tout-va,
Cette journée est la tienne. Nous déclarons ouvert le deuxième « premier juin » des écritures théâtrales jeunesse !!!

Laurent Contamin, Dominique Paquet, Luc Tartar, Catherine Verlaguet