samedi 13 juillet 2019

Clap de fin

A mi-chemin entre la forêt de Fontainebleau et la taïga mandchoue, en Russie, dans la région de Melikhovo, Anton Tchekhov écrivit en 1897 sa célèbre pièce Oncle Vania.

Quelques années plus tôt, Robert-Louis Stevenson couchait par écrit ses impressions de marche sylvestre entre Barbizon et Grez-sur-Loing, en passant par Franchard et Bourron-Marlotte... Et quelques années plus tard, Vladimir Arseniev explorera, dans le but de la topographier, la région du Sihoté dont il rendra compte dans Dersou Ouzala.

Il était donc cohérent de clore cette résidence en forêt de Fontainebleau (qui fut marquée à la fois par la lecture de Treasure Forest de Stevenson à la librairie-galerie L'Empreinte dans le cadre de la nuit de la lecture et par le spectacle En attendant Dersou adapté d'Arseniev à la Galerie Delort) par un hommage à Oncle Vania, qui se situe exactement au mitan, tant spatial que temporel, de ces deux oeuvres qui ont jalonné mon temps de résidence.

Et c'est avec la projection du très beau film de Louis Malle (réalisateur qui n'est pas non plus sans rapport avec l'environnement bellifontain), Vanya 42ème rue, que nous avons donné le signal de fin de ces six mois de résidence. Nous avons entendu Astrov nous dérouler ses cartes de forêts (à l'instar d'Arseniev, de Stevenson) et dire à Eléna - avec quelle prémonition de la part de Tchekhov ! :

ASTROV (Montrant la carte.) "Maintenant, regardez ceci. C’est le tableau de notre district il y a cinquante ans. Le vert foncé et le vert clair indiquent les forêts. La moitié de toute la superficie était alors occupée par les forêts. Où vous voyez, sur le vert, une hachure rouge, là vivaient des élans, des
chèvres. Je montre ici la flore et la faune... Sur ce lac, s’ébattaient des cygnes, des oies, des canards, et, comme disent les anciens, il y avait profusion de toute sorte d’oiseaux. On n’en voyait pas la fin. Ils volaient par nuées. Outre les hameaux et les villages, vous voyez, éparpillés çà et là, de petites fermes, des ermitages de Vieux-Croyants, des moulins à eau. Il y avait beaucoup de bêtes à cornes et de chevaux. Cela est marqué en bleu. Par exemple, dans ce canton, la couche de bleu est épaisse ; ici, il y avait des haras entiers de chevaux ; chaque isba avait trois chevaux. (Une pause.) Maintenant, voyons plus bas, ce qui existait il y a vingt-cinq ans. Il n’y a déjà qu’un tiers de la superficie occupée par les bois. Il n’y a plus de chèvres, mais il y a encore des élans. Les couleurs vertes et blanches sont plus pâles, et ainsi de suite, ainsi de suite. Arrivons à la troisième partie. Tableau du district au temps présent. Il y a de la couleur verte çà et là ; mais non plus d’un tenant ; ce sont des taches. Les élans, les cygnes et les coqs de bruyère ont disparu. Des hameaux anciens, des fermes, des ermitages, des moulins, plus trace. C’est, en somme, le tableau d’une dégénérescence progressive et certaine, à laquelle il faut encore dix ou quinze ans pour être complète. Vous direz qu’il y a ici l’influence de la culture ; que la vie ancienne devait naturellement céder à la vie nouvelle ; oui, je comprends. Si, à la place de ces forêts détruites, passaient une route, des chemins de fer ; s’il y avait des usines, des fabriques, des écoles, les gens seraient mieux portants, plus riches, plus intelligents ; mais il n’y a rien de semblable. Il y a, dans ce district, les mêmes marais, les mêmes moustiques ; pas de chemins. La pauvreté, le typhus, la diphtérie, les incendies. Nous avons affaire ici à une dégénérescence causée par une lutte intense pour la vie. Dégénérescence due au croupissement, à l’ignorance, au manque absolu de conscience, à ce moment où l’homme, transi, affamé, malade, pour sauver ses restes de vie, pour conserver ses enfants, se jette instinctivement sur ce qui peut apaiser sa faim, le réchauffer, et où il détruit tout, sans penser au lendemain... Presque tout est déjà détruit, mais, en revanche, rien n’est encore créé. (...)"

Merci à toutes celles et tous ceux qui ont accompagné cette résidence, la ville de Bourron-Marlotte, la bibliothèque municipale, la librairie-galerie L'Empreinte, l'école élémentaire, les habitants... Une mention toute spéciale à M. Nicolas Quénu, conseiller municipal délégué aux affaires culturelles, dont l'attention et l'énergie ont permis que cette résidence se déroule dans des conditions de création optimales.
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jeudi 4 juillet 2019

Claudel chez Claudel

Le 29 juin, j'ai eu le bonheur de jouer Le jeune Homme Paul (une adaptation de textes de Paul Claudel qui met en lumière les relations entre l'auteur et les personnages de son oeuvre de jeunesse), dans la jardin de la maison Camille et Paul Claudel de Villeneuve-sur-Fère : maison où l'écrivain a poussé son premier cri, où Camille a modelé ses premiers argiles...

Lieu qui a irrigué tant d'oeuvres, et en premier lieu peut-être Tête d'Or et La jeune Fille Violaine...

Depuis la "scène" s'ouvrent les quatre horizons, appelant au voyage, comme ils s'ouvraient déjà à la fin du 19ème siècle... "Il me semble que tout, l'air brumeux, les labours frais, et les arbres, et les nuées aériennes..."

Et à côté, la simple remise où Paul, de retour de Chine, écrivit fiévreusement, en une vingtaine de jours à peine, son Partage de Midi...

Merci à toute l'équipe de la maison Camille et Paul Claudel d'avoir permis ce moment d'une rare intensité, vingt ans après que j'ai joué L'Avion et ses Poètes, cette fois dans la maison de Brangues...
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