lundi 14 novembre 2011

La main chaude et la tête froide

Deux oeuvres sorties dans les salles obscures ces derniers temps mettent en scène la main et la tête : au théâtre, c'est Jacques Gamblin avec Tout est normal mon Coeur scintille, une pièce créée il y a bientôt 2 ans, actuellement à l'affiche au Théâtre du Rond-Point puis en tournée, qui, après Le Toucher de la Hanche, poursuit son exploration du sens du toucher : un spectacle qui commence par donner la part belle à sa main, seule éclairée par le point chaud d'une découpe, avant d'enchaîner avec des séquences de danse-contact-improvisation tout ce qu'il y a de plus convaincantes (formidables Claire Tran et Bastien Lefevre), des récits de matches de tennis résumés à deux doigts, et autres fantaisies manuelles et exercices tactiles. C'est assez fascinant de voir comment ce sens aussi peu mis à l'honneur au théâtre (il n'est pas question ici des performances, ni du théâtre-forum, ni du théâtre de rue, plus interactives a priori, mais bien du théâtre dans lequel l'espace scénique est clairement séparé de l'espace du public) prend ici, grâce à Gamblin, le statut de moteur dramatique d'un spectacle qu'il faut, si ce n'est déjà fait, aller voir d'urgence.
Au cinéma, c'est L'Exercice de l'Etat, film de Pierre Schoeller magistralement écrit, filmé, maîtrisé et interprété, qui propose deux courtes séquences dans lesquelles on voit Bertrand Saint-Jean, le personnage interprété par Olivier Gourmet, tenter de garder la tête froide : dans l'espace domestique d'abord, un petit glaçon sur les traits du visage au réveil pour botoxo-tonifier tout ça, puis au bord d'une autoroute enneigée, la nuit, à l'aide d'une pleine poignée de neige pressée en pleine figure. Tout le film peut d'ailleurs être lu à partir de cette notion de "garder la tête froide" dans l'ouragan de rapides, de courants et de contre-courants, de maelstroms dans lequel Saint-Jean est plongé, Radeau de la Méduse politique à lui tout seul. Alors : coulera ? Coulera pas ? On ne révélera pas la fin du film.
Pour ce qui est de la fin de Tout est normal mon coeur scintille, c'est plutôt à la double question : S'envolera ? S'envolera pas ? qu'on aurait envie de répondre. Et c'est à l'aide d'une plume de duvet que Jacques Gamblin nous proposera sa réponse d'homme de théâtre, nous lâchant la main pour prendre son envol.
Deux oeuvres qui fourmillent d'organes : le coeur, le cou, les vertèbres, les bras, la rotule - ah ! la rotule... -, l'anus chez Gamblin, une jambe chez Schoeller où c'est le corps dans tous ses états qui est mis à l'honneur, corps travaillé des demandeurs d'emploi cadrés de près, corps travaillé et travaillant de Saint-Jean aussi, d'autres corps enfin, dès la scène inaugurale du film, organique à l'extrême. Deux oeuvres à ne pas rater cet automne, à mon avis.

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