mardi 14 avril 2020

Ecrire pour la radio

des syllabes – des silences : l’oreille
         Par rapport aux autres écritures que je pratique (nouvelles, théâtre), l’écriture radiophonique est par définition toute entière contenue dans l’oralité : on s’adresse à des aveugles. Des sons, des lettres, des consonnes, voyelles, syllabes... L’acteur ne bouge pas et l'auditeur ne voit pas, le voilà, peut-être, confiné dans l'obscur, comme un fœtus, ou comme un mort. C’est à ces états de conscience là aussi qu’on s’adresse, il faut en être conscient.

Un bonheur de travailler les rythmes, les assonances, les silences… A deux reprises (La Note blanche, Et qu'on les asseye au Rang des Princes, pour France Culture) j’ai voulu pousser dans ce sens, en écrivant une partition double – un texte sur deux colonnes, simultanées. C’était très précis, à quelques secondes près tout était calculé. Mais vu le temps imparti aux répétitions, cette précision n’a pu être digérée par la réalisation, les conditions de production n'étant plus ce qu'elles furent à un glorieux âge d'or... Dommage. C’est une petite frustration d'entendre ses angles arrondis, ses crêtes érodées, ses détails approximés...

Et un appel aussi à prendre en compte cette nécessité, finalement, de ne pas être trop précis, de ne pas faire de la dentelle. Même si on voudrait bien. Les fictions qui ont le mieux fonctionné (Lisolo, Dédicace, Sténopé) c’est paradoxalement celles dont j’avais le moins travaillé le matériau écriture.

des motifs – des espaces : l’oeil
         La connexion avec le réalisateur, bien sûr, est essentielle. Parfois on a le sentiment qu’on a été compris, que le réalisateur a fait l’effort d’un déplacement vers le texte, vers l’auteur, on s’est parlé, on s’est vu, ça a pris un peu de temps à l’un comme à l’autre, mais de toute évidence ça vaut le coup : à l’écoute du texte à l’antenne, j’ai eu le sentiment que même si tout n’était pas là, même s’il y avait des approximations, des réinterprétations, les raisons qui m’ont poussé à écrire ce texte – les motifs du texte, dans la double acception du terme – passent les ondes (je pense notamment à Babel ma belle, à La Goule-aux-fées...).

Parfois au contraire, un sentiment de gâchis : le texte a été choisi et réalisé avec désinvolture. Et ça aussi, ça passe les ondes.

Un bon critère pour moi à l’écoute d’une de mes fictions, outre celui des motifs que je viens d’évoquer, est la spatialisation : les espaces, les volumes, les distances suscités par l’écoute de la pièce sont ou ne sont pas ceux que je pressentais en l’écrivant. Les images, les lumières, les ombres sont ou ne sont pas celles que j’imaginais… A partir d’un matériau sonore, le décodage visuel que j’en fais me fait reconnaître – ou non – mon texte. Là-dessus, l'expérience du documentaire sonore, telle que je l'ai vécue avec A Vau l'Eau, a été déterminante.

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