Mardi 29 mai 2012 à 19h15, au Théâtre du Cloître de Bellac, je participerai à une lecture mise en espace, par Stéphane Aucante, d'extraits du Palais des Rêves, le roman d'Ismaïl Kadaré qui a été choisi par le comité de lecture (parmi la quinzaine de romans fantastiques des vingtième et vingt-et-unième siècles proposée)*.
C'est une oeuvre qui m'a permis de mieux appréhender la thématique du fantastique, sur laquelle je travaille cette année, en comprenant que le fantastique n'est jamais aussi pertinent que lorsque, loin de se limiter à une imagerie et à un schéma narratif un peu convenus - soit qu'il penche du côté de la science-fiction, soit du côté de la nécromancie - il est au service d'un propos qui l'excède : métaphysique (et dans la liste des livres proposés à la lecture, je pense à des oeuvres comme L'Homme qui rétrécit, de Richard Matheson, au Compagnon secret de Joseph Konrad ou aux Cahiers de Malte-Laurids Brigge de Rainer-Maria Rilke) ou politique.
Dans le cas de Kadaré, bien sûr, c'est de politique qu'il est question, avec cette vision onirique et tragique de la bureaucratie (Kafka n'est pas loin) dont Kadaré, on le sait, a fait les frais sous l'ancien régime albanais, et dont le labyrinthe aux ressorts toujours plus irrationnels trouve dans ce palais où l'on trie les rêves de la nation une parabole d'une richesse et d'une justesse magnifiques.
C'est intéressant que Stéphane Aucante ait choisi le lieu même du théâtre pour proposer au public ce parcours dans l'oeuvre : un théâtre n'est-il pas, à sa manière, un "palais des rêves" ? Oui, mais dans un sens inverse que celui proposé par Kadaré : là où ce dernier fait jouer au Tabir Sarrail un rôle de confiscateur et de manipulateur paranoïaque des aspirations humaines, un lieu culturel comme un théâtre se veut au contraire un catalyseur, un dispensiateur, un solliciteur, un producteur de rêves...
J'ai revu par hasard, ces jours derniers, Le Miroir, d'Andrei Tarkovski : là aussi (comme dans beaucoup d'autres de ses films), le fantastique affleure : mais c'est toujours accordé à un propos métaphysique (la mystérieuse présence de la nature avec le vent dans les herbes et les arbres, l'eau, le feu...) ou politique (la crainte de l'héroïne d'avoir fait une coquille dans son article de journal et qui court à l'imprimerie pour vérifier ; les images de l'exil, avec les républicains espagnols...).
Kadaré et Tarkovski ont eu à lutter, l'essentiel de leur vie de créateurs, avec les régimes en place. Sans doute le fantastique était-il la brèche par où ils pouvaient feinter la censure pour réussir à s'exprimer quand même.
* dans le cadre d'un partenariat Théâtre de Cloître de Bellac / Bibliothèque intercommunale du Haut-Limousin
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