mardi 12 mai 2015

Le point de non-retour

Une place. C'est la fin de la nuit et peu à peu le film accompagnera, dans cette traversée de la ville, le passage de la nuit vers le jour, comme le font, peut-être, ces mains dites "négatives" qui annoncent la naissance de l'art et de l'humanité.

Une Austin Mini - on tourne autour d'une place, Péreire ou Daumesnil. Des pharmacies de garde, les premiers magasins allumés, une Coccinelle, le film a été tourné en 1979, c'est un petit matin d'été, cinq heures du matin, Paris s'éveille - comme dans la chanson, on va suivre dans un grand travelling avant cette traversée de Paris.

Une Renault 12, une fourgonnette, une 504. Un fourgon. Les premiers bus commencent leur service, ils sont sur les Grands Boulevards maintenant, il me semble que je reconnais la rue René Boulanger, son petit square, les arbres, la frondaison des arbres - frondaison si sombre devant la lumière naissante du jour, en contre-jour, en négatif. Les grands boulevards sont déserts, on est en été, Paris est vide, une Renault 20, un taxi CX. Au loin une grue, c'est la porte Saint-Martin, noire de pollution, et puis la porte Saint-Denis. Un camion d'éboueurs, un feu clignotant, ces immeubles en angle du 2ème arrondissement, tu les vois qui partent à babord vers le Sentier, Aboukir et Montorgueuil.

Un pigeon passe comme une mouette. Le métro Bonne Nouvelle. Le Rex - on devine les affiches : un film intitulé "Le Point de Non-Retour". Des panneaux de circulation : Saint-Eustache Les Halles Opéra Concorde. Banco Central - une banque qui ne doit plus exister aujourd'hui, l'espérance de vie des banques étant inférieure à celle des humains.

Des papiers. Des papiers jonchent le sol, des poubelles aussi, peut-être sommes-nous au lendemain du 14 juillet, ou d'une grève - des cabines téléphoniques, une bouche de métro, le café de France, des self des cafétérias, un chausseur, des balayeurs, des kiosques, le Paramount Opéra, le Grand Café, des Renault 5, des colonnes Morris, une boutique Lancel et l'Opéra Garnier.

Deux hommes qui marchent, petits, trapus, ils marchent vite. L'Opéra lui aussi est gris. La caméra tourne sur la place de l'Opéra, peut-être pour prendre la rue de la Paix ? On aperçoit la colonne Vendôme. Avec la silhouette de Napoléon tout en haut. Non, c'est l'avenue de l'Opéra que nous prenons. Les agences de voyage de l'Avenue de l'Opéra. Au loin, la place Colette, la Comédie Française. Le jour se lève. Les voitures commencent à éteindre leurs phares.

La place Colette, une sorte d'abri sont je je ne sais pas si c'est un abri bus ou une vespasienne et puis la rue de Rivoli, les arcades, noires comme une forêt obscure, le sol brillant, le Louvre, et au loin, la découverte du ciel au dessus des Tuileries, un car de tourisme qui passe, une DS, l'hôtel Intercontinental, la colonne Vendôme vue cette fois du côté sud.

Des pavés entassés, sans doute sont ils en train de macadamiser la rue, à nouveau les Tuileries avec les statues de Maillol. Un magasin de tabacs (avec un "s"), le Royal Opéra, une affiche publicitaire, le temps d'une injonction : "Nagez" - nous voilà je crois sur les Champs Elysées, les arcades du Lido, Marlène, Walt Disney, Mac Donald's (déjà ?), un film intitulé "Capricorne One", à l'affiche au Gaumont Ambassade, Locatel (loueur de télévisions), et puis le Prisunic au coin de la rue de la Boëtie (qui est devenu depuis un Monoprix), un abribus, des statues, il me semble qu'on est Porte Maillot maintenant ou Porte Dauphine, c'est l'avenue Foch, on est à l'autre bout de l'avenue Foch et on va la remonter jusqu'à l'arc de Triomphe.

Une Renault 6 passe, suivie d'une Renault 5. L'avenue Foch est presque entièrement vide, les contre-allées aussi, le ciel est blanc gris, il n'y a que le feuillage des arbres qui apporte un peu de couleur. Contre jour. Négatif.

Noir.

Description du film Les Mains négatives, de Marguerite Duras.

> article précédent
> article suivant

Aucun commentaire: