La Maison de Mathieu Mercier, MAMCS
"De la maison, la voyant partagée par
l’arête du toit, tu remarques au passage qu’elle n'a pas de gouttière. La partagent en son milieu - barre, biffure - le trait rouge et
l’absence de-dite gouttière. La porte aussi : barrée en son milieu. La fenêtre
également, verticalement - en son milieu toujours. Le calcul est vite fait : hauteur + profondeur sur racine carrée de largeur à la puissance epsilon égale le nombre d'or ou peu s'en faut.
Derrière la fenêtre, tu vois par transparence une autre
fenêtre, qui donne sur un mur jaune. Tu vois aussi trois femmes nues par
réflexion, une autre oeuvre du musée sans doute, réflexion du moderne sur le contemporain, et ça donnerait une sorte de vitrail cubiste ("Tache jaune avec trois Grâces" ?) : une maison rouge et jaune, fantaisiste, presque, une maison de vacances ; une maison rouge et or, comme la maison d’édition des livres d’enfance. Une résidence très secondaire.
Ton regard vole jusqu’à l’angle du garage, attiré par une
tache de soleil qui caresse le crépi et semble avoir bougé. Le gardien te regarde,
se lève, un homme te prend en photo, tu te demandes si ce ne serait pas Claude Lelouch, si ce
n’est lui c’est donc son frère, arrête, reviens plutôt à la tache rouge du toit, aux tuiles
rouges du pavillon : l’intimité d’un vélux capte ton regard,
l’ombre profonde des combles exaspère ton attente, d’autres ombres, d’autres
parties grisées dans les renfoncements des fenêtres, des portes, une ombre qui
bouge avec le passage des nuages devant le soleil.
Ces arêtes, ces encadrements d’ouvertures, voilà que tu les suis ; quelqu'un a parlé d’ouvertures ? Il n’y a pas de poignées aux portes. Ici, on
n’entre pas. Le pas de porte est un peu surélevé, tu passerais la
porte tu pourrais trébucher, mais nul risque, nulle chance : personne
n’entrera. Que te faudra-t-il faire ? Casser
le vitrail d’un coup d’épaules, faire le tour de la pagode pour te perdre dans
l’immensité jaune d'oeuf, attendre devant la porte, trempé par une pluie espérée, pluie que nulle gouttière n’arrêtera, tombant comme un rideau du faîte jusqu’au seuil où tu te tiens, toi ou le gardien c'est du pareil au même, dévalant entre les tuiles - arrête.
Le photographe est passé derrière la maison, il a annulé la
vérité du vitrail le temps de sa traversée dans
l’image : voilà que la fenêtre n’est plus un vitrail, que le pavillon n’est pas une église, que les proportions n’ont jamais rien eu à voir avec le nombre d’or. La maison est une maison
close, y vivent trois Grâces modernes et éphémères derrière le vélux d'une banlieue ordinaire. « Le pavillon dort », dit Claude Lelouch en fermant les
volets : c'est décidé, tu restes."
Laurent Contamin, texte écrit en regard de La Maison, de Mathieu Mercier : atelier d'écriture au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
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