Depuis quelque temps, des compagnies de théâtre, des structures culturelles ou des bibliothèques me demandent de lire un parcours parmi des extraits de mes textes*, seul, ou dans le cadre du G5. A force de pratiquer cet exercice, j'en suis venu à me poser la question : est-ce si naturel pour un auteur de lire à voix haute sa propre écriture ?
D'un côté, on pourrait penser que oui. Après tout, il est à la source de ce qui est écrit, et donc s'il est une personne qui soit bien placée pour être ajustée à la matière écrite, c'est bien son auteur. Il connaît non seulement le texte, mais le sous-texte, les intentions, les impulsions, il sait où se niche l'humour, l'émotion, il connaît la mécanique de son écriture et maîtrise ses rythmes, etc. Il connaît la source. Comme le dit la sagesse populaire, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. En outre, il a une connaissance exhaustive de son corpus et peut donc ajuster, là aussi, sa proposition en fonction de la demande : telle durée, tel public, tel contexte, telle thématique (quitte même, cerise sur le gâteau, à proposer quelques inédits).
Et pourtant, on pourrait aussi penser que l'auteur est la personne la moins bien placée pour prendre en charge sa parole. Cela m'a frappé, souvent, à l'écoute de "livres audio" dans lesquels l'auteur lit son oeuvre : il tombe souvent dans le piège du déclamé, il appuie tant sur la forme qu'elle en vient à cacher le sens - ou au contraire il s'esquive, il semble ne pas vouloir qu'on saisisse sa parole, il semble botter en touche en permanence, il n'ose pas se saisir des mots avec l'impunité qu'il faudrait parfois pourtant avoir... et on finit par se dire qu'un comédien ayant un regard neuf sur l'oeuvre, l'abordant non pas par l'intérieur, mais par l'extérieur, en toute liberté, donnerait à entendre plus, et mieux.
On en vient à se demander s'il n'y a pas quelque chose de contre-naturel, pour un auteur, à ré-investir une parole qui, d'une certaine manière, l'a dépassé lui-même, et dont il n'est, peut-être, non pas la source mais le passeur ; et qui, dans tous les cas, n'a pu s'écrire et se donner que dans un mouvement de dé-possession. A qui appartient la parole ? Peut-être à son auteur moins qu'à quiconque. Est-ce que vouloir remettre la main sur son écrit n'est pas aussi maladroit qu'un assassin qui reviendrait sur les lieux de son crime ? Peut-on se ré-approprier ce qui s'est fait dans le dé-saisissement ? Re-posséder ce qui n'est plus à soi ? Peut-on naître à nouveau ?
- Dans le temps de la préparation, je suis en état de maîtrise : j'ajuste, en connaissance de cause, la proposition textuelle en fonction de la demande qui m'est faite.
- Dans le temps de la restitution publique par contre, j'essaye de me persuader que cette parole transcrite n'est pas la mienne. J'essaye de l'aborder par l'extérieur. Je ne suis plus l'auteur, mais un comédien.
C'est cette gymnastique à deux temps (à la fois je et un autre) qui me permet, je crois, d'être dans une démarche que j'espère la plus à même de donner à entendre mon écriture. On en revient, une fois de plus, à l'assertion rimbaldienne : "Je est un autre".
* 2011/12 : Montlignon (95) le 15/10, Chateauponsac (87) le 20/01, Reims (51) le 4/02, Strasbourg (67) le 8/02, Saint-Herblain (44) le 3/04, Nantes (44) le 4/04, Crest (26) le 12/05, Bellac (87) le 8/07...
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