mardi 23 mars 2021

... Pour devenir à nouveau une expérience de tous

"La poésie est-elle possible dans une société qui laisse envahir ses conduites, son enseignement, sa parole par les mots de la technologie, du commerce, ceux qui ne savent plus l'infini qui est intérieur à l'objet naturel et incitent donc à un autre infini, celui du rêve, à se déployer, mais bien pauvrement, parmi les stéréotypes publicitaires ? Ne va-t-elle pas être repoussée toujours plus vers le monde des marginaux, que l'on prive de responsabilités autant que de moyens d'existence ? On peut certes craindre pour l'avenir de la poésie quand les journaux nous donnent à douter chaque jour de, tout simplement, l'avenir de la vie humaine sur sa planète polluée.

Mais n'oublions pas non plus que la poésie obéit à un type de causalité très particulier, celui de la réaction. En chacun de ses grands moments dans l'histoire moderne, elle apparaît moins le reflet d'une situation de l'esprit, qu'une révolte à l'encontre de celle-ci. La poésie naît de sa propre carence. C'est là un fait qui justifie tout de même quelque espérance (...). Car si la carence devient extrême, peut-être la poésie débordera-t-elle ce lieu trop étroit où présentement elle se produit dans des oeuvres trop personnelles, trop peu nourries de la parole commune, et cela pour devenir à nouveau une expérience de tous".

Yves Bonnefoy, Entretiens sur la Poésie (1972-1990)

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> Laurent Contamin

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